Lutter contre l’État c’est aussi lutter contre ceux qui utilisent tous les moyens possibles pour supprimer l’État mais dans un seul pays, tout particulièrement celui qui est rempli de juifs.
…
« Personne n’est à l’abri, les juifs peuvent être des exterminateurs (nazis?) comme les autres, la preuve». Un Random stalinien en goguette.
Nous ne pensons pas par principe que quiconque, individu ou groupe, ayant subi des persécutions de quelque ordre que ce soit s’en retrouve dès lors incapable de produire à l’encontre d’autrui une situation plus ou moins similaire à celle qu’il a pu endurer autrefois.
Voilà ce que nous pourrions dire d’entrée de jeu si nous voulions donner certains piètres gages défensifs en préambule à cette question. Cela tiendrait à la prise en compte de cette sorte de tabou que semblent transgresser de nombreux partisans de l’accusation de génocide ; en effet nous pensons ici que la possibilité que l’État israélien se livre à un génocide choque de prime abord la raison commune la plus élémentaire, à tort, et ceci parce que s’est déjà opéré dans l’imaginaire collectif une assignation complexe (dont ils ne sont pas les seuls victimes) : celle de l’assimilation des citoyens israéliens, acquis pour être « des juifs » – objets/sujets dont la dénomination transcende de loin l’histoire récente de leur foyer national-, à l’État qui les gouverne.
Par voie de conséquence directe, faire une proposition qui choque la raison commune en souhaitant dire une vérité masquée ou tue s’apparente à transgresser un tabou et se présente par là-même comme courageux, vertueux parce qu’émancipateur.
Il n’en sera donc rien de ce préambule pour une simple raison : nous serions d’ores et déjà tombés dans le piège tendu après-guerre par l’extrême-droite, par son opportune proposition négationniste, avec laquelle le communisme d’État a su opérer une composition réciproque en lui proposant d’autres assises que la simple défense du nazisme.
Cette pratique issue de l’extrême droite mais que le Komintern a aussi investi massivement, normalisé et diffusé à l’échelle de la planète repose sous un vernis de légitimation scientifique. La « sionologie » discipline universitaire soviétique était la traduction en terme propagandiste de l’antisémitisme d’État en Russie. Pour ce qui nous intéresse ici plus spécifiquement, la stratégie employée peut se résumer en quelques mots. Tout repose sur l’inversion perverse : faire des anciennes victimes des bourreaux identiques aux leurs. Les conséquences directes: d’une part banaliser et relativiser la Shoah ce qui a pour effet d’éroder ce qui fait son unicité et sa spécificité, condition de sa négation (en effet est-il nécessaire de rappeler que la stratégie négationnisme n’est jamais de nier en bloc mais seulement « des détails » qui ont toujours trait à la singularité du génocide ?). De plus, – et ici la perversion joue coup double en quelque sorte -, puisque les anciennes victimes d’un massacre comme un autre (qui n’a pas eu lieu selon les affinités de chacun) se comportent maintenant comme ce que ce qu’elles (ces menteuses selon les affinités de chacun, bis) rapportent de leurs anciens bourreaux, c’est donc bien qu’elles ont quelque part méritées leur sort. En d’autres termes : une justification à posteriori. Ainsi, les nazis auraient vu juste et, aboutissement de l’inversion monstrueuse, finalement ce sont eux les véritables victimes ( selon les affinités, d’autres victimes sont mises en avant) . Et c’est précisément ici que se joue le gain politique et l’ouverture des possibles pour les antisémites de tous bords…
A cette proposition négationniste s’est rapidement jointe une certaine gauche, donc, aussi anti-impérialiste que comptable, dont on se demande quelle part de rancœur jalouse elle peut bien toujours nourrir envers l’ancienne hégémonie nazie en termes de stigmatisation et d’essentialisation pour encore aujourd’hui courir de la sorte après une échalote aussi moisie ; gauche particulière qui va nous occuper un moment. Et ce chausse-trappe particulier que nous souhaitons contrecarrer c’est la stupide, pernicieuse, opportuniste et mortifère inversion du réel, qui est évidemment le point de départ ce texte. Les génocides communément attestés sont peu nombreux dans l’Histoire et, qu’on le veuille ou non, accuser l’État hébreu d’en perpétrer un ne peut pas ne pas renvoyer à une équivalence avec le régime nazi. Or si d’aventure « on » se retrouve à avoir raisonnablement porté cette accusation il reviendra à cet État de se démerder avec ça (encore qu’on se doute bien mieux de qui héritera de quel fardeau et avec quelles conséquences), et si l’« on » a intentionnellement (ou pas) eu tort de l’avoir fait « on » devra répondre de ses actes, pour ce qu’ils sont et pour ce qu’ils produisent.

Rappelons ici les enjeux et les qualités de ce projet passionnel révisionniste sauce DIY (moins ambitieux sans doute que le projet global négationniste mais une bataille, n’est-ce pas, se gagne sur plusieurs fronts). Ni exempt de haine ou de ressentiment ni vierge de tout calcul politique, ce projet est un outil incontournable de la nécessité majeure pour l’extrême-droite européenne de se débarrasser de son encombrant héritage, de faire le plus patiemment du monde sauter le dernier verrou qui la contient (pour combien de temps?) du côté des perdants dans l’accession au pouvoir par le suffrage. Quitte, sur ce sujet, à envoyer Jordan Bardella en Israël renier stratégiquement son héritage pour y dérouler la stratégie vicieuse intitulée « les ennemis de mon bouc émissaire favori sont mes ennemis aussi ».
Le négationnisme se déploie le plus souvent par la diminution des faits, leur relativisation, une manière particulière de les interroger ou d’affirmer « ne pas ou mal les connaître », et une manie de comparer tout -et tout le temps- avec n’importe quoi qui touche au génocide des juifs. L’inversion transhistorique des rôles est sans aucun doute une forme retorse de cet outil, dans ce qu’il mobilise de confusion, d’essentialisation, d’assignation, de pensée simpliste et de raccourcis…
On peut trouver un exemple récent, non exhaustif et de gauche de l’exercice du négationnisme dans le film du dénommé Roland Nurier plébiscité par le Hamas : Yallah Gaza. En l’occurrence, dans l’avis putride donné par Yonatan Shapira, ancien soldat israélien : « Le ghetto de Varsovie a duré moins de trois ans, je crois. Le ghetto de gaza a déjà 16 ans ». Voilà bien un archétype de l’idiot utile qui ferait mieux de s’instruire en place de « croire », plutôt que d’ouvrir son claque-merde de soldat et qui, s’il voulait supporter les gazaouis, devrait s’empêcher d’uniquement intervenir pour nier et travestir la réalité du ghetto de Varsovie.
S’attaquer aux ambitions et moyens des négationnistes relève pour nous d’une importance capitale, de crainte et par principe.
Cet objet/projet, que nous nommons piège, est complexe car si, d’une part, « les juifs » sont capable de génocide alors la conséquence induite en sous-texte est que l’on pourrait aisément, à rebours de la chronologie et de la raison, laisser affleurer l’idée qu’ils les ont bien cherchés, leurs malheurs (voilà à quoi « retorse » fait référence). D’autre part si de génocide il n’est pas factuellement question en Palestine alors l’opération de dénigrement, de falsification bref de réécriture de faits historiques commence, en plus du travestissement de l’actualité, avec comme conséquence principale la momification d’éventuels élans de solidarité avec des gazaouis qui se retrouverait eux pris en otage d’un enjeu qui les dépasse. Le négationnisme est un loup à deux têtes, qui mord toujours deux proies à la fois. Ou autrement dit : Pile tu perds Face tu perds.
Faut-il énoncer ici l’évidence monumentale que l’État d’Israël n’a pas subi de génocide ? Et que cela tient moins au fait chronologique qu’à sa nature ? C’est fait. Est-il possible d’affirmer que cet État ne sera jamais capable de commettre un génocide ? Non et ce n’est pas notre propos, ça n’a aucun rapport avec la problématique.
N’importe lequel des États de ce monde est capable d’en perpétrer un, tout à l’exacerbation constante de leur Patrie (et de leur supériorité, de leur spécificité et de leur nationalisme) qu’ils sont occupés sempiternellement. Mais qu’on nous autorise ici ce qui pourrait apparaître comme une provocation paradoxale car, loin de tenir certains dirigeants et exploiteurs de ce monde, hauts gradés de leur État, pour « fous à lier » ou « dangereux psychopathes» tel qu’il est apparemment en vogue de les présenter sur les zincs des plateaux de télé, nous pensons dans le même temps qu’il est fort possible qu’Israël soit le moins susceptible d’en commettre un, car sans doute le plus capable de sinuer sur les hauts plateaux du jeu de massacre et de la guerre sans jamais se risquer à tomber au plus terrible (s’il en fallait un) échelon de l’échelle des meurtres de masses : le génocide ; et ce pour tout un tas de « raisons » dont peut-être celle d’avoir la capacité -cruelle- de calculer froidement et de façon macabre, avec entre autres l’histoire de son « peuple » en équation, et cela sur le corps de dizaines de milliers de civils palestiniens morts. S’il ne devait y avoir qu’un seule indice pour soutenir cette thèse ce serait bien, compte-tenu de l’extrême densité de population à Gaza et de l’effroyable quantité de bombes qu’Israël lui a jeté sur la tête pendant si longtemps (et chaque mort représentant une souffrance indicible à nos yeux), le nombre estimé des morts jusqu’à aujourd’hui comparativement au total de sa population.
Cette retenue et ce froid calcul dont nous pensons qu’Israël s’est rendu coupable doivent être ajoutés à l’actif de l’ignominie de cette guerre, de ces ordonnateurs et de ses fournisseurs.
Donc « Les juifs » n’existant nulle part en tant que corps social ailleurs que dans la tète creuse des obsessionnels de tous bords, nous disons ici, comme d’autres ailleurs, qu’il est stupide et dangereux et intéressé de véhiculer de quelque manière que ce soit ce renversement. Et si nous disons cela c’est bien parce que ce ne sont même pas encore véritablement les citoyens d’Israël qui sont convoqués et assignés lorsque d’aucuns ouvrent leur bouche -généralement en by-pass sur leur anus- pour, sans s’embarrasser d’une quelconque réflexion, convoquer ensemble, dans une éructation de comptoir, et la judéité et la possibilité du génocide.
L’on peut aussi rajouter à ce sujet l’inévitable sentiment de ridicule ou de consternation qui doit jaillir à l’esprit en constatant ce qui semble parfois (souvent?) relever uniquement (et en l’absence de matière supplémentaire) de la provocation enfantine dans ce qu’elle peut porter de plus stupide en matière de fronde. En tout cas pour nous, il apparaît clairement (et c’est peut-être ce qu’il y a de moins politique et de plus tragique quand c’est le cas) que moult commentateurs, membres ou salariés de l’ONU, youtubeurs décoloniaux ou autres organisations estudiantines biberonnées au stalinisme, tous auto-préposés monomaniaques à la surveillance de la situation à Gaza sont agis uniquement d’une délectation transgressive à poser côte-côte « l’idée du juif » (quand ce n’est pas clairement « l’entité sioniste »1) avec la question génocidaire, a contrario de ce que l’Histoire ou le réel intiment, et ceci aussi joyeusement qu’un enfant de trois ans viendrait poser sa crotte sur le plateau de fromage. La transgression reste l’ersatz dont se repaissent les vautours en absence de subversion. Elle n’est que le lugubre ricanement qui accompagne la marche mortifère de ce monde. De la part des forces se réclamant d’une histoire dans laquelle « Viva la muerte » fut déclinée sur tous les tons, c’est quelque part dans l’ordre de leurs choses. Mais pour qui a prétention à ébranler le vieux monde, voire le détruire, c’est une tragique impasse.
Sommes-nous déjà rendus si familiers des guerres?
Que se passe-t’il à Gaza depuis le 7 octobre 2023? A l’heure où nous écrivons ce texte le cessez-le-feu tant attendu est encore fragile et nous ne considérons malheureusement pas cette phase du conflit terminée, nous choisissons donc d’employer le présent. A l’ignoble boucherie antisémite artisanale menée par le Hamas succède l’industriel et innommable carnage perpétré par le gouvernement de Netanyahou. Les bombes explosent en quantité effroyable sur une population qui ne peut se mettre à l’abri nulle part et plusieurs dizaines de milliers d’habitants sont morts ; des nourrissons aux vieillards personne n’est épargné… A cet égard et à l’instar des militants palestiniens du Hamas qui se sont livrés à d’abjects assassinats, viols et enlèvements sanglants, Netanyahou porte ici l’indéniable responsabilité de commettre au nom de la « vengeance » d’effroyables tueries, de massacrer sans discriminations, de faire sniper ambulanciers et journalistes, et d’ensevelir sous les décombres des immeubles, avec toute la puissance de son État moderne surarmé, des dizaines de milliers de personnes, de causer d’atroces blessures et souffrances à toute une population. Les otages du Hamas, d’où qu’ils viennent, sont sacrifiés sur l’autel de l’agenda opportuniste du chef d’État israélien. Netanyahou est un meurtrier en chef, les soldats qui servent sous l’étendard de leur pays sont -comme tous soldats- des assassins, bon gré, mal gré. Tous ceux qui ont plébiscité cette guerre, qu’ils soient animés par le racisme, la peur ou la soumission : des ordures. Aujourd’hui Gaza est ravagée et l’avenir de sa population plus qu’incertain. Personne ne peut dire qui pourra fuir ce champ de ruines (pour aller où ?), si les habitants vont (sur)vivre sous des tentes du HCR pendant 20 ans, si Donald Trump va forcer l’Égypte à ouvrir ses frontières pour faire une Riviera (qu’il crève)… L’essentiel de l’accès au soin, à l’alimentation et à l’hygiène va continuer de faire défaut et ce manque va provoquer encore de nombreuses décès et maladies, produire de terribles souffrances.
Voilà une formulation sincère la plus spontanée possible de ce que nous pensons qu’il est possible de dire sur l’«offensive à Gaza ». Il ne nous est pas venu une seule seconde l’idée de mobiliser le terme génocide car il n’en est mais strictement rien, et nous allons y revenir (en tout cas à son argumentaire ou sa légitimation officielle).
Sommes-nous déjà si familiers des guerres donc, que des mots tous terribles comme ceux que nous avons employés ici ne suffisent pas ou plus pour évoquer la mort même en nombre ? Qu’est ce qui ne va pas avec massacre, et carnage ? Ça ne vous fait plus assez peur ou suffisamment bander ? Sommes-nous collectivement si rompus à l’emphase, au buzz, à la provocation qu’il faille sans cesse tronquer, exagérer, travestir, (se) mentir ? Sommes-nous si habitués, pour certains des plus militants, à lire et relire et entendre asséner à la masse par un pan de l’extrême-gauche -antisémite- depuis des décennies cette accusation de génocide ou de nettoyage ethnique qu’il n’est plus ni question ni possible de l’endiguer ? Il n’était déjà pas grand-monde pour dézinguer un Pierre Stambul qui depuis des années promeut cette idée de « nettoyage ethnique » en Palestine mais ça ne se bouscule pas plus au portillon quand il surenchérit à l’automne 2023 dans Courant Alternatif, claironnant que ce projet de « nettoyage ethnique était contenu dans le projet de 48 ». Mais au secours…
L’hyperbole semble avoir toujours comme sous-bassement l’idée qu’il faille frapper les esprits, ainsi sonnés, « conscientisés » dit-on sur le marché, et par une mystérieuse mécanique il sera par la suite « mobilisé » (c’est la guerre culturelle !). Mais la dénonciation reste toujours du domaine du judiciaire, et donc de l’État (ce n’est pas pour rien qu’on interpelle ici un gouvernement, là le conseil de l’Europe ou encore l’Onu, etc), a ceci près qu’elle ne peut pas être plus que ce qu’elle est. L’investir d’une mission autre que les attendus de la communication, n’est, en plus d’être bien souvent que l’illustration d’une incapacité (par choix ou pas) à faire autre chose, que la mise en conformité avec une théorie qui fleure bon l’avant garde éclairée conscientisant le monde. Qu’importe le sujet, les individus n’ont aucune espèce d’importance pour le propagandiste. Ils ne sont qu’objet au service de l’idéologie promue. La cruauté des images déversées en boucle ou l’hystérisation du langage a dans un double mouvement pour conséquence d’annihiler toute pensée par l’émotion qu’elle suscite et dans le même temps laisser place au discours promu dont elle ne sont qu’une ornementation.

Encore à propos de négationnisme, nous souhaitons ici refaire un crochet vers la double insulte que représente le fait de comparer deux évènements dramatiques incomparables, qu’on les rendent égaux ou pas. Il a été dit à l’automne 2024 par un énième idiot utile, salarié de l’ONU sur des questions humanitaires, qu’à cette époque Israël avait d’ores et déjà tué plus d’enfants en moins d’un an que quatre années de guerre dans le monde ne l’avaient causé (nous étions de mémoire à 20 000 morts d’après le Hamas, dont plus de la moitié étaient des enfants). C’est profondément détestable de jouer les comptables dans ces circonstances mais s’il est des gens pour tripoter à ce point d’horreur les chiffres il en faut d’autres pour les contrer. Oublions gracieusement l’histoire de « dont la moitié à peu près » pour un instant, et accordons à ce sinistre chien -dont l’avis tout estampillé qu’il était fut relayé par énormément de canaux médiatiques- le chiffre encore une fois horrible de 20 000 enfants morts en 1 an dans la Bande de Gaza à ces dates. Nous calculons et atteignons donc d’après ses dires la moyenne de 5000 enfants morts directement ou des suites immédiates de la guerre dans le monde et par an. Il nous a fallu sous le coup de la colère, tant l’absurdité et la faiblesse de ce chiffre doivent sauter aux yeux, moins d’un quart d’heure pour commencer à trouver des traces d’ONG publiées dans le Figaro par exemple qui relayaient d’après études et travaux au long cours, et concernant généralement les moins de 14 ans, des chiffres assez variables mais réalistes tournant autour de plusieurs centaines de milliers d’enfants qui meurent par an, plutôt plus que moins directement, du fait des guerres dans le monde.
Laissons là en partie les chiffres pour nous attarder sur les conséquences et la nocivité de ce genre d’abruti dont les éructations monstrueuses font le tour des écrans et des journaux numériques du globe en cinq minutes, et deux fois le tour des sphères néo-léniniste, anti-impérialiste et consorts, scotchées aux réseaux dans le même temps. Cette prise de parole et ses véhicules instantanés à l’échelle mondiale peuvent laisser soit deux empreintes distinctes dans l’imaginaire individuel et collectif soit le cumul des deux. En premier le récepteur lambda se fait une idée au plus près de la réalité des enfants qui meurent de guerre dans le monde mais ne connaît rien du conflit israélo-palestinien, auquel cas son cerveau ne réclame que quelques secondes pour se persuader qu’Israël est certainement en passe de commettre un génocide (disons 400 000 que multiplie 4 années et on tombe sur un bon 1 600 000 enfants morts à Gaza entre 2023 et 2024). En second le récepteur ignore combien d’enfants meurent de la guerre chaque année mais écoute régulièrement le Ministère de la Santé du Hamas : il doit se dire alors assez logiquement que l’« on fait tout un foin des guerres, que c’est pas si terrible que ça, franchement, 5 000 enfants morts annuels c’est triste mais d’instinct j’aurai dit plus, comme quoi hein… ». Deux mâchoires, deux proies.
Il n’est aucune bonne raison d’abandonner le réel. Et s’il en est de mauvaises nous pensons qu’il ne faut pas être dupe des conséquences qu’elles apportent.
Quelque compagnon de route des luttes sociales fléchit au printemps 2024 sous l’injonction génocidaire et le fit en convoquant aussi les mathématiques, en l’occurrence la statistique. A l’époque d’après lui 0,5 % de la population de Gaza avait déjà péri sous les bombes et cela était visiblement pour lui un signe que le compte à rebours devait avoir commencé. Nous lui avions répondu qu’il paraissait ridicule de transposer des nombres de morts en pourcentage, et sans doute d’autant plus quand cette transposition desservait à ce point son propos : non seulement personne de sensé n’est prêt à verser dans une théorie pareille avec un taux de mortalité de 0,5 % mais pire, il est évident que si l’objectif est la sensibilisation aux massacres réels, qui dans ce monde de merde s’indignerait d’une si piètre performance ? Mais surtout, en nous éloignant du cynisme le plus rapidement possible (car nous parlons là de vies humaines, de gens qui n’ont pour la très grande majorité rien demandé et surtout pas de mourir), si vous deviez « en êtres », de ces amoureux des chiffres, sachez bien que par quel que bout que vous cherchiez où se situe le tampon d’ignominie (plus que des gens réellement morts) la statistique est sans le pire endroit où fourrer votre nez. Car ce faisant vous risquez bien par là de chier, non point comme l’enfant du début dans l’assiette à fromage, mais bien sur la mémoire, celle vive des palestiniens morts ces dernières années et celle des juifs morts depuis longtemps, avec le souvenir desquels -embrouillés que vous vous trouvez dans vos tableaux Excel- vous jouez tristement.
Mais pour en revenir avec ce qui dépasse de loin la question du vocabulaire des combats ou la terminologie adéquate des meurtriers de masse, et afin de rester sur le fond. Nous souhaitons aborder rapidement deux points pour se rendre compte du dramatique niveau de pensée critique où nos sociétés se sont enfoncées, et d’où et par où nous devons sortir :
– Le « crime de guerre ».
Unique et meilleure agente commerciale de la sphère juridique dans la gestion de ses affaires sociales recensée dans tout l’univers connu, l’humanité (sa part dominante suffira) a su atteindre dans ce domaine un stade d’excellence, et beaucoup par l’invention formidable du Droit de la guerre, coutumier ou pas. Pour faire court et sérieux nous n’avons pas utilisé dans la description plus haut ni le mot crime ni l’expression crime de guerre. Nous aurions pu si nous avions été adeptes des appellations expressément tribunales et judiciaires, ce qui n’est pas le cas. Car crime de guerre pourrait s’entendre idéalement comme « acte effroyable consistant a déclencher ou opérer une guerre », et là nous dirions que ça aurait pu passer. Mais crime de guerre doit s’entendre comme « acte effroyable et prohibé par contrat à l’intérieur de l’exercice légitime de la guerre », et là l’on comprend bien que cela n’est pas possible.
Une des conséquences la plus éloignée mais pas négligeable de l’existence du fait génocidaire autant que l’utilisation à tort de l’usage du mot correspondant est, tel le fracas du bruit du dernier clou enfoncé au cercueil d’un cadavre qui porterait notre visage à tous, qu’il participe à nous laisser inertes, sonnés, groggy, impuissants, et désarmés devant le fait institutionnel accompli de la Guerre, la belle, la vraie, celle acceptable, qui réponds à des critères stricts et entendus, à qui l’on rend visite une fois l’an pour rendre son hommage.
Maudite soit-elle, ses nuances de mort et sa législation avec.
– La « purification ethnique » ou son édulcoré « nettoyage ethnique ».
Entre son « invention » en 1860 jusqu’à sa « démocratisation » 130 ans plus tard par Slobodan Milošević et consorts, cette expression ne sortira quasiment jamais des cercles politico-militaires de pensée raciste de Serbie, si l’ on excepte le fait qu’elle a évidemment fort influencé le judenrein (mot-à-mot : purifié des juifs) nazi.
Si l’on se ballade du côté d’un de ces emprunts célèbres des plus récent on notera que le « nettoyage des banlieues au Karcher » de Nicolas Sarkozy en 2005 n’aura pas connu le même succès. Les deux expressions sont profondément racistes, elles viennent du racisme et, surtout, produisent du racisme même latent.
« Nettoyage ethnique » dans sa source contient l’odieuse idée principale de rendre pur ou propre un territoire sali par la présence de celui qui n’aurait rien à y faire, l’étranger, la vermine, l’envahisseur, belliqueusement ou sournoisement immigré, bref l’épouvantail le plus immédiatement disponible sur le moment. Son utilisation régulière aujourd’hui, employée dès que, lors d’un conflit, le plus fort chasse ou éloigne le plus faible d’un territoire (une utilisation banalisée dirons-nous) justifie et explique le fait qu’on a quand même éloigné purification pour lui préférer nettoyage.
Pour autant il demeure plus que problématique (mais pas surprenant dans un monde ou le culte des nationalismes, véritable matrice juridique et sociale du racisme mondialisé, domine) que ces termes soient employés à tour-de-bras. Et certainement pas anodin à nos yeux que les colporteurs modernes les plus assidus de ces termes soient les défenseurs traditionnels de la Palestine, à tout le moins ceux d’entre eux qui cumulent avec d’autres caractéristiques le caractère obsessionnel et quasi unique de cette cause, cette cause existentielle qu’ils rejoignent avec en bandoulière la glorification des peuples opprimés sauf « les juifs », exception toujours conjuguée de façon opiniâtre avec l’auxiliaire Disparaître Israël.
« Nettoyage ethnique » est l’avalisation d’une pensée raciste, un succédané, une politesse malsaine pour « purification », un dogwhistle périmé -toujours en rayon- vers la Shoah, un tampon qui se justifie par le désir d’infâmer systématiquement, une assignation qui se fait fers et chaînes, in fine une instrumentalisation du nazisme à des fins racistes…
Ils voudraient bien oui, nous le faire rentrer dans le crâne, à la schlague, au mégaphone et à la merguez, à coups de milliers de page web s’il le faut, ce mantra si pratique pour tous les amoureux du renversement du réel, tellement ils le répètent à l’envi et le scandent et l’écrivent partout dès qu’ils s’en donnent l’occasion.
Exode forcé ne suffit pas. Expulsion ne suffit pas. Prison ne suffit pas, ghetto s’est tellement mieux, ça leur fera les pieds…
Le réel ne sied que peu aux idéologues : ils s’y sentent bien trop à l’étroit. Si l’État israélien devait dans la continuité de sa guerre dégueulasse vider la Bande de Gaza de ses habitants ce serait en tant que ce que ces habitants seraient coupables de l’habiter car trop gênants et pas assez dociles, pas en tant que représentant d’une « ethnie ». Ce serait un fait purement stratégique, opportuniste et politique, oppositionnel à la revendication politique et justifiée des palestiniens à vivre librement, sans contraintes sur leur territoire, et qui ne peut et ne doit pas être renvoyé à une terminologie essentialisante qui brouille les cartes.
Si l’air du temps est à l’ethnicisation ou à la biologisation systématique et tous azimuts alors l’air est définitivement putride.
« Le colonel Bezalel Smotrich, avec le chandelier, dans le petit salon ? Bravo ! » : Acolytes de Tsedek jouant au Cluedo, 2024.
Le racisme flagrant et les paroles exterminatrices affichées par des membres du gouvernement de Benjamin Netanyahou seraient des indices du génocide en cours. A contrario de cela nous disons d’abord que toutes les guerres ne sont pas des génocides, sans quoi rien ne sera jamais génocide, ensuite que toutes les guerres portent une haine nécessaire qui doit être mobilisée, et que xénophobie et racisme (sans vouloir ôter toute agentivité à ses divers et variés représentants) sont sans doute les plus puissant moteurs de haine qui ont été fabriqués et qu’ils sont omniprésents dans les guerres.
Lors des exécutions massives par balles de juifs, tziganes et autres civils une conséquence a vite surgi et de manière suffisamment impactante pour qu’elle fut remarquée et qu’il fallut y trouver des remèdes : les Einsatzgruppen dévolus à cette tâche ne résistaient pas tous à l’exercice. Mauvaise volonté, abandons de poste pour maladie, désertions, dépressions, voilà ce que l’horreur de tuer des gens en nombres en étant au plus près causa aux soldats de l’armée du Reich. Il suffit de regarder l’état de délabrement psychique de la plupart des soldats de retour du cœur d’une zone de guerre pour se convaincre de ce fait : tuer n’est pas aisé, tuer est difficile. Tuer cause des séquelles psychologiques et physiologiques à celui qui tue, à plus ou moins long terme. Ce que doit mettre idéalement en place en terme de moyens une structure comme un État -ou n’importe quel chef- pour amener (du plus docile au plus hystérique) ses soldats à commettre l’irréparable (tuer d’une part mais son semblable par dessus le marché), ce que la structure, la hiérarchie doit mobiliser pour que son armée fonctionne, qu’elle ôte donc la vie efficacement et sans regrets, est immense. Et doit s’ancrer dans un processus durable, mobiliser des affects et des ressentis puissants. Si cela échoue où si l’on est trop pressé il y aura toujours la loi martiale, la cour martiale, le peloton d’exécution, les drogues, … Avant cela il faut galvaniser, avec des drapeaux, de la fierté et du patriotisme, il faut invoquer, produire, solder, séduire, persuader, aliéner, mentir, exploiter, prétexter, culpabiliser, glorifier, larmoyer, manipuler, effrayer, éduquer…
Israël, en guerre depuis sa création, devrait posséder des vertus qu’aucun autre État n’arbore (en situation conflictuelle s’entend, et une fois débarrassé des oripeaux de Fraternité qui les habillent tous à l’accoutumée) ? Sans quoi ses actions militaires offensives ou défensives devraient immédiatement recevoir le sceau « génocidaire » ? Non Israël, en aucune manière, ne saurait être un État dénué de tares congénitales ou amputé de moyens coercitifs et manipulatoires, appelez-ça comme bon vous semble, c’est un État, donc par le fait banalement guerrier, autoritaire et exploiteur, qui transbahute comme tous ils le font du malheur, de la folie, de l’institution, du racisme, de l’élite et de la pauvreté ; les militants révolutionnaires du siècle dernier qui s’opposaient au projet sioniste, ou ceux d’entre « les juifs » qui se questionnaient à son sujet (pour une grande partie exterminés), et sans doute aussi une partie de ceux qui y adhéraient, n’étaient probablement pas dupes du risque essentiel à ce que des siècles de souffrance s’échouent dans ce que la modernité avait à leur proposer juridiquement comme havre immédiat.
Dans l’incendie saisir, dans la géométrie implacable d’une étroite fenêtre par laquelle se jeter, le salut nécessaire, n’est pas motivé par le nombre d’étages qui nous séparera, peut-être, bientôt du sol.
Le racisme donc, de certains des gouvernants israéliens, des colons assassins et confiscateurs, d’une partie de sa population, ne définit pas la nature de l’action guerrière qu’il mène actuellement. Ne pas comprendre qu’un ministre qui dit « on va les finir jusqu’aux dernier ses sales clébards » ou un officier qui hurle «tuez-les jusqu’aux derniers ses sales fils de pute » n’est que le prolongement ultime de la défiance minimale que beaucoup de gens entretiennent envers leurs voisins est problématique, et relève d’un aveuglement partiel quant à l’étendue effective et la force du racisme mondialisé, de quelque intensité qu’il soit.
Ces menaces et insultes savamment publicisées ne disent absolument rien des volontés d’une équipe en gestion, des impératifs d’un état-major des armées, de la fucking diplomatie internationale en sous-main… Tout au plus sont-elles le révélateur (quel scoop) d’un racisme débridé au service immédiat du terrorisme verbal d’un gouvernement en guerre physique. En tout : rien de spécial ou d’unique au conflit dont nous parlons. Le discours déshumanisant et la menace de destruction totale ne sont pas l’apanage des génocides, ce ne sont que les marqueurs terriblement usuels des guerres atroces que les puissants de ce monde nous inflige pour leur supérieur intérêt, car il apparaît parfois que nous sommes plus utiles au front qu’à l’usine. Mais en général dans ces cas-là le paquetage idéologique est prêt.
La réalité, c’est objet si simple à la complexité modérée. Quand on dézoome et qu’on remet les pieds sur Terre dans un seul mouvement.
Benjamin Netanyahou, accusé par la Justice de son pays d’être un homme corrompu, un adepte des fraudes et grand abuseur de confiance ou de deniers publics (on dirait que les dirigeants de ce monde font un concours interne où l’esprit d’un De Coubertin plane en permanence) a entrepris avec la manière la plus sauvage qui soit de sauver son cul des ennuis judiciaires qui le poursuivent. S’il n’est pas utile d’invoquer quelque théorie du complot (l’orchestration du 7 octobre comme il a été loisible de l’entendre) il est raisonnable de lui accorder d’avoir su au moment fatidique tirer profit de la situation, c’est à dire déclencher une guerre de représailles qui pouvait lui promettre sans l’ombre d’un doute sinon une rédemption au moins un long répit. Qu’un chef aussi puissant que lui dans sa situation a su extirper opportunément de sa boite le seul outil à sa disposition est logique. Mais son action ne se résume pas à cela : il est aussi et avant tout le premier ministre d’un pays à l’histoire singulière.
La crise économique mondiale s’accroît, chaque semaine qui passe voit des super-puissances appuyer sur des gâchettes diplomatiques, d’anciens pays « émergents » finissent d’émerger la bave aux lèvres, tel ou tel « acteur de la scène économique » lorgne un peu sur des contrats nouveaux et beaucoup sur les frontières et ressources voisines… La course en règle à l’énergie, à la production, aux points d’indice, à la baisse des salaires, à la compétitivité, à la hausse des cadences et de la productivité, tous ces indicateurs de la crise du capitalisme et de la guerre générale qui point nous submergent. De par sa situation géographique et politique, au vu de son histoire neuve et guerrière, cerné physiquement par beaucoup de ceux qui (très) rapidement devinrent ses ennemis officiels, et ce quoi que l’on en pense, il est clair que « Bibi » prépare aussi son pays à la Guerre, la bonne grosse guerre, celle dont on craint que les aventures poutiniennes soient les premiers signes avant-coureurs, en plus d’être de vraies guerres. Que sans aucun doute possible pour s’assurer des coudées franches au sens strict, quitte à massacrer cinquante ou cent mille gazaoui, à déglinguer tout où partie du Liban, amplifier les annexions et les colonies dans son grand Est il accroît dramatiquement son territoire, se disant avec son état-major qu’à la fin le pays ressemblera au minimum à ce qu’il était « au départ ». En cela pour les gens de son acabit les habitants de la côte Est de la Méditerranée ne sont pas grand-chose, rien qui ne puisse se régler à coups de mortier en tout cas. Meugler au génocide ne sert à rien d’autre que remettre des sous dans la machine raciste, qu’à resserrer la focale en adjoignant un filtre merdique et confus. Les enjeux pour sortir collectivement de ce trop vieux bourbier ne sont pas là.
Nous ne savons pas dans quelle mesure les mots sont importants, mais nous savons que certains sont graves et que leur incidence est préjudiciable. A quelques exceptions près nous observons que les plus enclins à dénoncer le drame de Gaza avec cette approche génocidaire sont les mêmes cadres et petites mains, tous escrocs nostalgiques de Staline, et donc passionnés et traversés d’un antisémitisme atavique, qu’ils sont des jouisseurs de puissance et de massacres (de fait éminemment capables de tenter de faire leur beurre dessus), avides de gérer les dossiers courants et juteux, de siéger où d’être représentés par des gens « qui ont le courage de », que ce sont les mêmes qui agitent des terminologies séditieuses quand ils ne promeuvent s’en trop se cacher que leur goût du pouvoir et de l’ordre établi.

Cette accusation de génocide remonte à tellement loin dans l’Histoire contemporaine qu’ils gesticulent à chaque drame de cet interminable conflit, tricotant le fil de ce que devrait être sa définition à leur gré, cherchant sous les tapis celle qui sied le mieux aux images et à l’actualité de la guerre qu’ils traquent sur les fils d’actualités. Un type de l’ONU dit de la merde sur les enfants morts? On relaie ! Les chiffres ont paru sur le nombre de « bibliothèques, d’universités ou de boîtes aux lettres détruites » (oui oui), voilà la preuve que « ce lien qui fait l’essence de l’humanité d’une société disparaît sous nos yeux », etc… Les exemples de ces arrangements avec la réalité sont légion, où l’enjeu est bien d’imposer une vision opportuniste par la force, qui colle à un discours raciste et sert un projet politique.
La bande de Gaza est ravagée, bon sang ! Mais comme il a été dit plus haut ça ne leur suffit pas. Ces gens sont des comptables et des récupérateurs dans l’âme, dont l’indignation est à géométrie variable, qui poussent leur populisme jusqu’à l’horreur. Ce qui les rapproche de l’extrême-droite, en sus d’alimenter la machine négationniste c’est leur peuple et leur nationalisme, et leur souci -transparent à nos yeux- de la continuité du système capitaliste et de l’exploitation de l’humanité. Mais donc pour ce qui nous intéressait ici : des boutiquiers négationnistes salisseurs de mémoire et d’opportunistes confusionnistes. Notre entreprise n’est pas de les confronter, leur combat est à dessein. L’idée de ce texte est d’encourager ceux qui flanchent, qui hésitent, qui tranchent trop vite à comprendre qui leur sert la soupe et quel goût elle a. Assister impuissant à la mort de gens n’autorise pas à ce qu’on laisse par derrière danser sur le corps et la mémoire des disparus en préparant les macchabées de demain.
Pour presque conclure et enfoncer le bouchon. Si nous devions avoir tort un jour, car encore une fois chacun des États de ce monde est capable de génocide, nous n’aurions aucun remord à avoir écrit ce texte puisqu’il ne s’agit pas ici de tenir une position qui pourrait s’avérer inexacte.
Et enfin.
Maintenant, et une fois analysé ce que recouvre l’emploi du terme actuellement et historiquement, il n’est peut-être pas superflu de réfléchir aussi à quelles autres fonctions politiques il répond, outre son évidente application négationniste immédiate.
D’un mouvement social perdu aux émeutes qui ont pris fin, un spectre hante les apprentis gestionnaires et certains révolutionnaires : le responsable de la défaite. Qui est-il ce monstre froid qui achève aussi bien les plus tièdes aspirations que les plus ardents élans ? Quel est son réseau, quel est son projet, a t- il mal au dos?
La question formulée telle quelle n’a bien entendu aucun sens. Il n’y a pas de responsable. Des analyses, oui. Des questionnements, bien entendu. Des critiques, vitales. Mais malgré tout, toujours ce besoin impérieux qu’il y ait un sens à ce qui est perçu comme défaite. La quête de l’homélie définitive ronge de façon lancinante aussi bien les réformistes de l’existant que ceux qui se pique de le subvertir. De la volonté d’explication totalisante à son incarnation, il n’ y a qu’un pas. Et c’est ici qu’entre en scène un des acteurs les plus vieux, les plus revêches et opiniâtres du dit mouvement ouvrier : l’antisémitisme. Celui qui donne la pire des réponses à la pire des questions. Quelle terrible ironie qu’un des poisons les plus contre-révolutionnaires puisse être sécrété dans les chaudrons de la critique du monde… Et pourtant, inlassablement ses militants réinvestissent les espaces dès que la rage de l’impuissance, la tristesse de la défaite, la rancœur ne n’avoir fait vaciller la normalité que temporairement prennent le pas sur nos chemins. Ainsi comme un vieux tube qu’on pensait ne plus entendre, à chaque fin de mouvement social ou d’épisode émeutier les égouts montent pour nourrir les fleurs empoisonnées. De la lâcheté, de la facilité, de la faiblesse ou de la complaisance, ces fleurs là n’ont pas de difficulté pour prospérer sur des terres différentes.
Depuis juillet 2023, le volume commençait à monter : une fois un tag appelant à l’extermination des juifs sur le mur d’une fac parisienne et bastion de gauche (même si la fréquence des tags antisémites augmentent sur les facs indépendamment d’escarmouche de la guerre sociale, ici un cap exterminateur est franchi), une autre fois un chanteur de variété antisémite qui combat l’antisémitisme depuis 20 ans (NDLR : les errements de la propagande ne sont pas de notre fait) invité dans toutes les colonies de vacances des boutiques politiciennes. Et ce jusqu’au 7 octobre.
Ce jour là, la gauche dite radicale, son Extrême et son Ultra -à l’unisson- chantèrent les louanges du groupe politique intégriste, ultra-nationaliste et antisémite qui dirige d’une main de fer une partie d’un territoire fantasmé par tous. Tressage de lauriers sur des corps dont la vie prenait brutalement fin. Congratulations sur les pleurs, les douleurs et les cris de silence. Et tous en chœur d’entonner l’hymne internationale des pèlerins du néant : “Viva la muerte”. Vraiment, quelle liesse! Quelle joie!
Dans la gauche institutionnelle et extra-parlementaire on avait pas connu cela depuis… pfiou ! au moins la coupe du monde 98. Tout cet étalage de joie mauvaise, toute cette fête sinistre, n’étaient que la victoire sans partage de l’antisémitisme de gauche. Ses militants les plus acharnés avaient bien compris que l’on pouvait jouer coup-double cette année, et ce pari la providence des mollahs leur a fait gagner. La virulence de la haine a peut-être surpris car cette fois-ci (saluons au passage la sincérité avec laquelle elle s’est exprimée, à une époque tous les jours de la semaine, Lundi Matin compris, il se disait la même chose mais dilué sur des centaines de pages papier ou numérique) les contorsions théoriques, idéologiques et pratiques pour l’habiller n’étaient plus de mise. D’un manque de souplesse, d’agilité rusée -ou peut être que l’air du temps est au raidissement général- le fard s’est envolé, le masque brisé. Et, la vilaine grimace s’est figée.
Cependant tant d’outrance, de laideur et de brute détestation laissent planer un sentiment d’irréalité. Des plus sourdes aux plus irritées, toutes les oreilles connaissent le bruit de fond de la sionologie version française. Là la tonalité n’est plus la même. Quelque chose a changé.
Si cette terre d’outre Méditerranée conserve sa fonction de réceptacle des fantasmes racistes et névroses antisémites de la gauche française, elle reste aussi l’écran où se projette ce qui agite la politique en France. Et un séisme a eu lieu récemment, un de ceux qui tranchent dans le vif la vilenie du quotidien.
En juillet, suite à l’assassinat de Nahel par la police pour son refus d’obtempérer à un ordre, des révoltés ont répondu avec la plus simple et difficile des réponses : l’émeute. Le feu s’est propagé, les structures du pouvoir de l’État sur nos vies ont été attaquées, le pillage systématisé. Les eaux se sont séparées. La gauche renvoyée à sa fonction d’encadrement de l’existant s’est contorsionné comme à ses plus mauvaises habitudes. D’un débat sémantique sur le qualificatif de ce qui était en train de se passer à l’organisation d’une manifestation de récupération une fois les émeutes terminées, tout le panel de la dissociation s’est mis en place. Les émeutiers toujours vu comme Extérieur n’ont eu tout au plus que de vagues communiqués de soutien mais véritable profession de foi pacificatrice. C’est dans cette foi absolue d’une extériorité que semble se jouer la même pièce indéfiniment. Celle du petit théâtre d’ombre de la gauche où sur les estrades les lanceurs de pierre sont toujours plus désirables quand ils sont loin. Et si possible quand les pierres peuvent atteindre des juifs.
Le retour du refoulé ne pouvant être contenu indéfiniment, dans les mois qui ont suivi le 07 octobre l’Extrême-gauche et son Ultra tissent le fil entre les émeutes dont elles furent spectatrices et ledit soutien à la Palestine. A titre d’illustration, moins de deux semaines après le 07 octobre les aires trotskystes énoncent (par la voix du porte-parole de Révolution Permanente) que :
“C’est la génération Nahel qui était place de la République. Beaucoup de mères avec leurs filles souvent lycéennes. La lutte pour la Palestine a quelque chose que n’ont pas les luttes sociales, elle forge toute une nouvelle génération à l’anti-impérialisme pour le reste de leur vie”.
Et cette organisation d’enfoncer le clou en décembre :
“Pendant les révoltes pour Nahel, Macron a demandé conseil à Israël pour la répression, les liens entre la France et Israël sont complices”.
Bien entendu si c’est sans fard que l’Extrême-gauche institutionnelle expose son inconscient, l’opacité offensive dès décembre 2023 (dans les colonnes de l’organe de propagande Lundi Matin) n’est pas en reste :
“Le danger qu’il y aurait à « importer le conflit israélo-palestinien » fait partie des multiples stratagèmes de l’État israélien pour défendre son existence, aux cotés du chantage à l’antisémitisme. Ce conflit est déjà-là. La police française ne se prive pas de demander des conseils à ses homologues israéliens quand les émeutes pour Nahel éclatent. Des politiciens ont déjà appelé publiquement (après le 13 novembre) à « israéliser » la sécurité en France.”
Et de conclure sur un mot d’ordre vivifiant :
“Soutenir là-bas veut dire attaquer ici – donc la question des moyens et des cibles.”…
Les ordures des estrades ou des info-kiosques cultivent patiemment la rancœur des reflux des mouvements. Pour qu’advienne le sacrifice originel, il faut savoir distiller au long cours son acceptation. Et c’est alors, rebondissant sur la joie mauvaise des premiers communiqués que le pouvoir, par l’entremise de la parole présidentielle lançant le grand jeu du « Regardez donc là où je vous le dis » (allocution du chef de l’État en direct sur les médias en date du 12 octobre 2023) lance le grand jeu, et que le campisme a répondu présent comme un seul homme (providentiel).
L’occasion était trop belle d’enfouir deux mouvements sociaux dont le pouvoir sous sa forme contestataire n’a pas pu tirer profit. Profitant de l’émoi juste et sincère qu’une guerre provoque, les lentes sécrétions qui traversent l’histoire française d’une partie du mouvement dit ouvrier font ici leur office : le coupable de leurs échecs est tout trouvé, la victime expiatoire servie sur plateaux de l’Élysée. Et c’est précisément à cet endroit que l’emploi du terme génocide trouve son emploi le plus efficace : la figure du bouc émissaire aux vicissitudes des aspirants gestionnaires de gauche nécessite un accoutrement des plus effrayants. Plus la peur sera distillée, au plus l’oubli sera ancré, les urnes remplies et les brochures distribuées.
Tout peut donc continuer comme avant, on ne fait pas d’omelette indigeste sans casser du bouc. Traversant les époques, le poison contre-révolutionnaire fait ici une fois de trop parfaitement son office : que l’ordre règne.
…
A bas l’État ! n’est pas un slogan. C’est la proposition révolutionnaire qu’ils ne puissent plus, les imbéciles heureux qui sont nés quelque part, en aucun pays, ni se reproduire socialement en tant que citoyens, ni reproduire à l’infini leur allégeance crasse à une organisation mortifère, y compris pour eux-mêmes.
Autoriser sans réagir de sinistres politiciens à opérer une renversante transposition de réalité génocidaire à conséquence antisémite et négationniste est aussi rendu éminemment possible par la conviction profonde que tout un chacun est assimilable à son État ; mais aussi par ce goût immodéré pour l’enrôlement des individus sous faux drapeau révolutionnaire mais véritable bannière du maintien de l’ordre par l’antisémitisme, et par l’absence monumentale de fraternité qui ne peut que suinter à grosses gouttes de la séparation des êtres par du Droit, des barbelés et de l’argent.
“Mon Dieu qu’il ferait bon sur la terre des hommes
Si l’on n’y rencontrait cette race incongrue
Cette race importune et qui partout foisonne
La race des gens du terroir des gens du cru
Que la vie serait belle en toute circonstance
Si vous n’aviez tiré du néant ces jobards”
voilalasignature@gmail.com
1 Cette expression qui symbolise officiellement l’incapacité (le diable doit leur sortir par la bouche) des anti-impérialistes sélectifs (le droit des peuples sauf qui vous savez) à prononcer le mot Israël renvoie de longue date à l’imagerie antisémite, fantomatique, insaisissable et fantasmatique du juif qui est partout. Nous la trouvons régulièrement utilisée au Parti des Indigènes de la République, chez Boussoumah, ou Paroles d’Honneur, entre autres).
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